Vocation : auteur - Enseigner la lecture - Episode 9

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Episode 9 - Entretien avec Delphine Grasset pour Vocation : auteur

Dans ce neuvième épisode du podcast Vocation : au-teur, Delphine Grasset, professeure des écoles, nous raconte la genèse des collections dont elle est l’auteure et comment ses expériences en classe ont façonné sa vision de l’enseignement de la lecture.

Comment susciter le plaisir d’apprendre ? Comment impliquer les élèves dans l’apprentissage de la lecture ? Delphine Grasset est professeure des écoles en cycle 1 et 2 depuis plus de 25 ans dans l'académie de Rennes. Elle est auteure chez Hachette Éducation de la méthode de lecture Pilotis et de la collection Mon cahier pour comprendre et écrire en CP.

Ses pratiques de classe, enrichies de rencontres, de lectures et de conférences, et surtout son insatiable curiosité, l'ont amenée à repenser son enseignement au CP et à s'intéresser plus particulièrement à l'enseignement de la lecture.

À travers son travail, Delphine Grasset s'attache à proposer des outils et des méthodes qui facilitent la mise en place de travaux en groupes, d’ateliers, de jeux. Elle est convaincue que l’aspect ludique, joyeux a toute sa place dans une méthode de lecture.

Le neuvième épisode est aussi disponible sur différentes plateformes d’écoute en streaming.

Pascale Joly : Bonjour Delphine. Alors pour commencer, je t'ai demandé de choisir un extrait musical qui est Bab El West du groupe Energie d’Oe. Pourquoi as-tu choisi cet extrait ?

Delphine Grasset : Le groupe s'appelle Bab El West et j'ai choisi cet extrait parce que c'est un groupe que je connais depuis longtemps, que j'ai rencontré par hasard un soir où je n'allais pas forcément très bien. Et ils ont vraiment illuminé ma soirée, mon cœur. Ce sont devenus, on va dire, comme des amis. Je les suis dès que je peux, je les retrouve. Et c'est un groupe qui, par sa composition et la musique qu'ils font, signifie énormément de choses pour moi. Habib, le chanteur, est d'origine marocaine. Il joue avec Clément qui est breton. C'est exactement cette ouverture du monde. D'ailleurs, Bab El West ça veut dire la porte de l'Ouest. Comme tu le sais, je suis du côté de la Bretagne, ça me parle aussi. Oui, le Maroc c'est aussi à l'Ouest. Enfin bref, c'est vraiment un groupe qui a une philosophie et une musique que j'aime particulièrement.

PJ : Parlons un peu de ton métier, qui est celui de professeure des écoles. Tu enseignes depuis plus de 25 ans maintenant. Qu'est ce qui a suscité ta vocation et quel élève étais-tu ? Est-ce que tu t'en souviens ?

DG : Ah oui, je m'en souviens. Je pense que j'étais une plutôt bonne élève, mais très timide. Mon objectif, c'était surtout de ne pas me faire repérer dans la salle de classe, d'être la plus effacée possible. C'est vraiment en grandissant que j'ai peu à peu pris confiance et certainement en devenant enseignante aussi. Et alors moi, je suis l'archétype de l'enseignante. J'ai toujours voulu devenir enseignante. Petite fille dans la rue où j'habitais, dans mon village, on jouait à la maîtresse et j'étais toujours la maîtresse.
Et si je n’étais pas la maîtresse avec les voisins, j'étais la maîtresse avec les doudous et les peluches de ma chambre. Mais j'ai toujours voulu faire ça. L’école dans ma vie d'enfant était un refuge. C'était un endroit où je me sentais en sécurité quand par ailleurs, je n'étais pas forcément toujours en sécurité. Et à cet endroit, oui. Du coup, je pense l'avoir surinvesti. Et je n'ai pas voulu le quitter.

PJ : C’était un peu ta deuxième maison alors ?

DG : Exactement, ce qui est toujours le cas d’ailleurs.

PJ : Qu’as-tu le plus à cœur de transmettre à tes élèves Delphine, à travers ton enseignement, tes valeurs ? Quelles seraient les deux ou trois clés à transmettre à tes élèves pour leur vie future ?

DG : Pour ce qui est des valeurs, en premier je dirais le respect, le respect de soi, le respect des autres. Ça me semble essentiel – encore plus dans le monde dans lequel nous vivons. Le respect, la tolérance ça va avec, le poids du groupe d’une classe, ça peut être pesant et commencer à construire la tolérance tout petit, ça me semble absolument fondamental. L'ouverture aux autres et aussi l'estime de soi, la confiance en soi. Croire en eux, peut-être plus fort qu'eux mêmes ne croient en eux et être convaincu que même s'ils ont des difficultés, ils vont trouver une voie qui va les y amener. Je ne t’ai pas parlé de ma fille, mais tu vois, elle a toujours un peu galéré parce qu'elle était dyslexique. Finalement, elle a trouvé sa voie et elle s'éclate. Et c'est vrai que quand tu es une enseignante avec un peu de bouteille et que tu as eu des enfants avec un parcours un peu plus chaotique que d'autres, tu vois bien que les enfants qui sont devant toi, eux aussi, ils pourront trouver une voie et je suis là pour les y accompagner, les aider.

PJ : Quelles pratiques pédagogiques mets-tu en place dans ta classe avec tes élèves ?

DG : Peut-être que je t'ai parlé d'un changement, quand dans mon école, les CP ont basculé dans le bâtiment de maternelle. Là j'ai dû aménager une classe de maternelle-CP et je l'ai aménagée très différemment de ce qu'on peut imaginer – pas de manière classique, avec des bureaux devant un tableau, etc. D'autant plus que j'étais allée passer quelques jours en Estonie dans une école maternelle vraiment très chouette, où les enfants de CP sont scolarisés. Et en fait, je ne m'en suis aperçue qu'à la fin de la semaine. Je n'avais jamais vu et compris qu'il y avait des enfants qui apprenaient à lire et écrire dans cette classe parce qu'ils faisaient plein d'activités. Certes que je ne comprenais pas parce que je ne parle pas l'estonien et ce n'était pas si évident que ça. Et au final, ils savaient très bien lire en fin d'année scolaire. Du coup, ça m'a beaucoup fait réfléchir sur la manière d'enseigner au CP, beaucoup plus proche de la manière dont on enseigne en maternelle sous forme d'ateliers – mais pas seulement, avec des leçons beaucoup plus courtes, des temps beaucoup plus courts mais répétés ensuite et répétés sous d'autres formes : sous forme d'ateliers, d'entraînements, etc.
Et finalement, je me suis aperçue que les enfants apprenaient aussi bien, voire mieux que dans les dispositifs plus classiques.


PJ : C'est ce que tu mets en place dans ta classe en France ?

DG : Tout à fait. Et là cette année, j’ai rebasculé en CP CE1, mais je garde ce dispositif et je vois bien que les enfants ont plaisir à ça. Ça marche. Un de leur moment préféré dans la journée, c'est justement de travailler en petits groupes entre eux, de réinvestir des notions, de faire des recherches ensemble et leur donner ce temps qui me paraît absolument essentiel.

PJ : Tu es l'auteure, avec tes coauteurs bien sûr, de la méthode de lecture syllabique Pilotis en CP qui est parue en 2019, et vous êtes sur le point de publier une toute nouvelle méthode de lecture Sami et Julie en CP, qui a été conçue autour des albums du même nom. Alors, dans quel esprit l'avez-vous conçu cette collection et quel sens lui avez-vous donné ?

DG : Alors je commence par te parler des auteurs, de mes collègues auxquels je tiens énormément. Géraldine, avec qui je travaille depuis la première édition de Pilotis. Catherine Péronnet qui est aussi auteur du blog de Chat Noir. Pareil, je travaille avec elle depuis l'aventure Pilotis. On nous confondait d'ailleurs souvent l'une l'autre. On croyait que j'étais l'auteure du blog de chat noir. On croyait d'elle qu'elle était l'auteure de pilotis. Nous étions plutôt faites pour travailler ensemble ! Et puis deux autres personnes. Emmanuel Lacroix, qui est le créateur d’Effet Eurêka, chez qui je suis formatrice, et Marc Boudot, qui est le créateur d’Enthousiasme Orthographique.

PJ : Qu'est-ce que c'est, Enthousiasme orthographique ?

DG : Enthousiasme orthographique, c'est une grande aventure qui est née dans le Creusot, autour de l'orthographe.
C’est toute une équipe qui a développé des outils et notamment l'arbre des mots. Et cet arbre, qui ressemble vraiment à un arbre, recense les 37 phonèmes de la langue française ainsi que les graphèmes les plus fréquents. Ils sont symbolisés par un espace dans l'arbre et accrochés à ce graphème plus fréquent, on y trouve les graphèmes plus rares. Donc tu imagines le O de moto et puis tu vois le A U, EAU, Ô, etc.

PJ : Tout ce qui pose difficulté ?

DG : C'est ça. Et ces difficultés en plus on les met en couleur. Et ça c'est un petit peu l'inverse de ce qui se fait dans les méthodes syllabiques : on cache la difficulté aux enfants pour qu'ils lisent aisément. Là on met en exergue la difficulté aux enfants pour faire la lecture et l'orthographe en même temps. Et ça c'est rudement intéressant puisqu'on a des études qui ont montré que quand les enfants écrivent des mots et qu'ils les écrivent mal, ça leur reste en mémoire. Alors qu'avec cet outil, ils peuvent, grâce à des petits tirets d'encodage, écrire parfaitement justement des mots. Cela veut dire que là, on engrange des savoirs corrects dès le début de l'apprentissage. Et ça, c'est très intéressant. Donc voilà ce qu'est l'enthousiasme orthographique. Ce n'est pas que cela, mais c'est ce qu'on va retenir, en tout cas, dans la méthode de Sami et Julie.

PJ : C’est une méthode qui est tout à fait conforme au programme ?

DG : Les programmes vont a priori changer, mais elle est en tout cas conforme aux recommandations du CSEN. C'est-à-dire qu'elle est 100% déchiffrable, il n'y a pas de mots-outils qui apparaissent en dehors de la progression des graphèmes. Il y a très peu d'illustrations. Les enfants sont obligés d'entrer dans le texte pour y mettre du sens. Donc oui, elle est parfaitement conforme. Mais ce qu'on avait vu, mes collègues et moi, c'est que les méthodes, justement, peut-être conformes, n’étaient pas forcément proches de l'univers enfantin, voire très éloignées de ceux qui les met en appétence. Et nous, on n'avait pas tout à fait non plus envie de ça. On avait envie de quelque chose de joyeux, de coloré, qui donne envie de s'emparer de son manuel comme de n'importe quel ouvrage de littérature enfantine. Les personnages de Sami et Julie nous y aident beaucoup, parce qu'ils sont proches des enfants et particulièrement joyeux. Mais on tenait aussi à cet aspect-là des choses. Un autre aspect qui nous semblait très important, c'était de majorer les activités les plus efficaces en classe et que peut-être on ne fait pas suffisamment, notamment faire écrire. Là on va essentiellement faire écrire pour lire. On va finalement peu faire lire la classe. C'est très difficile de faire lire une classe complète, surtout quand on est un enseignant débutant. C'est quelque chose qui est très compliqué. Alors que les faire écrire, ils vont tous être dans l'activité parce que quand on écrit on n'a pas le choix, on est impliqué.

PJ : Même les élèves en difficulté ?

DG : Il va falloir plus d'étayages, il va falloir peut-être des outils un petit peu complémentaires comme une banque de mots, une collecte de mots au préalable. Bien sûr, il faudra des aides. Mais même les enfants en difficulté s'investissent dans la tâche de l'écrit. Ce sont des tâches tout à fait abordables par des enfants de CP. Je pense, par exemple, aux productions d'écrit : il y a beaucoup de situations génératives qui permettent à l'enfant d'avoir peut-être en début d'année une phrase, mais d'arriver à un produit fini en une séance. Ils sont très jeunes, pour eux la notion de temps est différente, mais arriver dans un laps de temps court à un produit fini, représente une grande réussite pour des enfants. Donc on va les faire essentiellement écrire par des activités d'encodage, je t'ai parlé de l'arbre des mots, de la production d'écrits, et puis une dernière chose, on va les faire comprendre. Et c'est là où par contre le groupe classe va retrouver toute son importance. La compréhension se travaille essentiellement à l'oral. Ça se travaille par la confrontation au texte et puis la confrontation des uns et des autres pour nourrir le sens.

PJ : Nous allons conclure ce podcast avec une question un peu plus personnelle. Quel est ton livre préféré Delphine et pour quelles raisons l'as-tu choisi ?

DG : Je crois que je t'ai parlé de Baptiste Beaulieu, Où vont les larmes quand elles sèchent. C'est un des derniers que j'ai lu. J'ai adoré. Baptiste Beaulieu était un jeune médecin et qui a vécu évidemment, comme on peut imaginer – comme tout médecin – des choses bien difficiles. Dans cet ouvrage, c'est le décès d'un très jeune enfant qui l’amène à se questionner sur son absence de larmes dans tout ce qu'il vit. Et je l'ai trouvé d'une humanité incroyable. J'ai particulièrement aimé ce livre. Je te le conseille Pascale.

PJ : Je vais m’empresser de le lire ! Et quelle est ta citation préférée ? Et pour quelle raison l'as-tu choisie ? Tu m'avais parlé d'une citation du poète Paul Éluard.

DG : C’est ça : « il n'y a pas de hasard, il n'y a que des rendez-vous ». Et j'ai dû t'expliquer que je la déformais un peu, en disant il n'y a pas de hasard, il n'y a que des rencontres. J'aime mieux le mot rencontre que rendez-vous. Rendez-vous me semble un peu figé, un peu organisé, rencontre moins, même si en effet je suis convaincue qu'il n'y a pas de hasard dans nos rencontres, la preuve avec toute l'équipe avec qui je travaille. Emmanuel rencontré pendant le Covid, Marc rencontré parce que j'utilisais l'enthousiasme orthographique avec Pilotis et finalement ces rencontres m'ont permis de faire un bout de chemin avec eux et tout ce que je me souhaite c'est de belles rencontres encore.

PJ : je t'en souhaite de belles rencontres, je suis sûre que ce sera le cas et je te remercie Delphine pour ton enthousiasme, orthographique et personnel, et pour ce riche entretien. 

Ce podcast est disponible sur les plateformes de streaming. Retrouvez tous les épisodes ici.
 

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