Enseigner le français en collège aujourd'hui, c'est un vrai défi. Guillaume Plassans, professeur de français en Gironde, s'est lancé dans cette aventure avec passion et créativité. Connu sous le pseudo de Popésie sur les réseaux sociaux, il fait partie de cette nouvelle génération d'enseignants qui dynamise les salles de classe à coups d'humour et de méthodes innovantes.
Alors, qu'y a-t-il dans la valise de Popésie ? Comment réussit-il à embarquer ses élèves dans le vaste univers de la littérature ? Découvrez dans ce 15e épisode du podcast « Vocation auteur » son parcours, ses pratiques et sa façon, bien à lui, de transmettre l'amour des mots...
Ce quinzième épisode est aussi disponible sur différentes plateformes d’écoute en streaming.
Pascale Joly : Bonjour, Guillaume.
Guillaume Plassans : Bonjour Pascale.
PJ : Alors, tu as choisi d'introduire ce podcast par une chanson du groupe de rap « I Am », un cri court dans la nuit. Pourquoi ce choix ?
GP : C’est parce que c'est une chanson que j'ai beaucoup écoutée quand j'étais au collège. Je suis un grand auditeur de rap depuis l'enfance et Iam, c'est un groupe qui a vraiment marqué l'histoire du rap. Leur album L'école du micro d'argent, sorti dans les années 1990 a eu un gros impact sur ma génération. Il y a cette chanson, Un cri court dans la nuit, qui parle de l'insécurité et il y a une phrase qui est répétée pendant le refrain qui dit « la nuit on assassine et chacun crie à l'aide ». C'est un refrain que j'ai souvent entendu, que je connais très bien. C’est au lycée que j'ai découvert qu'en réalité cette phrase était issue de la pièce Ruy Blas de Victor Hugo. En fait, le fait que des rappeurs aient samplé un texte de Victor Hugo, je me souviens que ça m'avait profondément marqué parce que je m'étais rendu compte qu'on avait le droit de faire ça, qu'on pouvait faire un art populaire, un art moderne et en même temps aller puiser dans le patrimoine culturel français. Ça, ça m'avait vraiment marqué et je pense que c'est ce qui m'a aussi donné envie d'explorer un peu plus la littérature classique et voir ce qu'on pouvait y trouver.
PJ : Est-ce que c'est ça qui t'a donné l'envie d'être enseignant ?
GP : En partie, j'imagine. C'est toute une construction qui s'est faite depuis le collège. Même avant, j'ai eu sur ma route des enseignants qui ont toujours été très bienveillants, très sympathiques, qui m'ont donné envie aussi d'explorer, de connaître, de comprendre et aussi d'expliquer et de faire comprendre à un moment.
PJ : Tu as fait des podcasts pour Hachette, pour la collection « Écume des Œuvres », avec une entrée qui s'appelle « Dans la valise de... » donc d'un auteur, en l'occurrence. J'ai alors envie de te demander : qu’y a-t-il dans la valise de Guillaume Plassans, alias Popésie ?
GP : Je pense qu'il y aura ce que j’ai très souvent sur moi, presque toujours : un livre de poche. C’est pratique, un livre de poche, pas cher et ça se glisse dans la poche.
Avec, j'aurai un stylo pour pouvoir prendre des notes et écrire sur le livre. J’adore écrire sur le livre. Je pense qu'il faut désacraliser aussi le rapport au livre et ne pas hésiter à prendre des notes.
Et, un troisième objet, je pense que j'aurai une tétine de secours pour ma fille, parce qu’on n’est jamais à l'abri !
PJ : Ah oui, ça va être utile !
PJ : Est-ce que tu peux nous expliquer rapidement ton parcours et, justement, ce qui a suscité ta vocation d'enseignant ? On en a déjà parlé, mais de manière un petit peu plus approfondie.
GP : Alors, mon rapport au livre, j'ai commencé à lire au collège, je pense, en explorant le CDI du collège. J'ai commencé par lire beaucoup d'adaptations.
J'ai été particulièrement élevé par la télévision. J'étais souvent seul à la maison, je regardais beaucoup de films et je suis rentré dans la littérature en allant au CDI et en prenant les novélisations de films. Ce sont les livres qui re-racontaient le film, mais dans le format livre.
PJ : C'est une bonne idée ça, pour arriver à la lecture.
GP : Oui, ça se fait encore beaucoup. Je sais que des séries comme Stranger Things ou même Minecraft, certains jeux vidéo, sont adaptés en romans. C'est une bonne porte d'entrée pour donner envie aux plus jeunes de lire. En tout cas, c'est comme ça que moi, j'ai commencé à lire.
Ensuite, en cours de français, je me souviens particulièrement de mes cours de 4e où on étudiait énormément de littérature classique, patrimoniale. Mes premiers amours, ça a été les poèmes de Victor Hugo. Je me souviens notamment de Mélancolia en 4e et Le Horla, de Maupassant.
J'ai commencé véritablement à beaucoup lire à partir du lycée. Ensuite, sur les conseils d'un professeur que j'avais en CM2, je suis parti vers une prépa littéraire. Puis j'ai fait des études littéraires.
PJ : Tu es quelqu'un qui a beaucoup d'idées, qui est créatif. Sur les réseaux sociaux, tu postes énormément de posts qui ont de l'humour. Et toutes ces idées, tu les mets en place aussi dans ta classe. Est-ce que tu peux nous dire un petit peu comment ?
GP: Je fais des cours qui sont très théâtralisés. Je parle, j'essaie d'animer au maximum. Je pense que les élèves ont une attention qui est de plus en plus fluctuante. C'est difficile pour eux de passer toute une journée en classe et de rester concentré. Donc, j'essaie de rendre le cours aussi attrayant que possible. Ça passe par beaucoup d'humour aussi, d'anecdotes qui sont comme des petits ancrages mémoriels qui permettent aux élèves de retenir des informations importantes ou alors même d'entrer dans les œuvres.
PJ : Peux-tu nous donner un exemple ?
GP : En fait, il y en a énormément. Par exemple, quand on commence à étudier la figure du renard avec les élèves de 6e, avant de rentrer directement par La Fontaine, on peut faire un détour par Naruto.
Si jamais on doit étudier les pirates, on peut faire un détour par One Piece. Avec les 4e, si je dois attaquer le Horla, je peux passer par la chanson de Nekfeu qui s'appelle le Horla, ou alors étudier des affiches de films.
J'aime beaucoup étudier les affiches de Stranger Things, de Sleepy Hollow ou le fantastique comme ça, car on peut analyser les images, les contenus sur l'affiche et on va ensuite pouvoir découvrir l’œuvre.
J’ai été très sensible aux travaux sur l'actualisation, sur les lectures actualisantes de Yves Citon, qui invite vraiment à essayer de connecter le plus possible la littérature classique au réel des élèves.
PJ : Quelles sont les choses que tu as le plus à cœur de transmettre à tes élèves, les valeurs ? S'il y avait deux, trois choses à retenir pour leur vie future, qu'est-ce que tu devrais retenir pour tes élèves ? Qu'est-ce que tu aurais à leur dire ?
GP : Alors d'après moi, il y a deux dimensions quand on étudie le français au collège comme au lycée. Il y a d'abord la maîtrise de la langue, donc ça va être la grammaire, le vocabulaire, le lexique, toutes ces choses importantes.
Mais on enseigne aussi, et je pense que les gens l'oublient souvent, on enseigne aussi les humanités. C'est-à-dire qu'on doit leur transmettre une culture humaniste. Et, à mon sens, la littérature n'est pas qu'une fin en soi, c'est aussi un tremplin dans l'étude de questions importantes.
Moi, il m'arrive très souvent d'arrêter mes cours pour faire des digressions sur des questions d'humanité, des questions liées au racisme, à l'intolérance, à la misogynie, au rapport au travail, rapport à la société.
Souvent, quand on laisse les élèves s'emparer d'un texte littéraire, on voit que leurs interrogations portent sur des choses très concrètes. Donc je n'hésite pas à arrêter ce que j'avais prévu et aller dans une autre direction.
PJ : Et ça leur plaît aux élèves, ça ?
GP : Ça leur plaît énormément. Ils aiment beaucoup voir que le texte n'est pas figé et peut être utilisé.
PJ : Et qu'il y a des passerelles entre les matières aussi ?
GP : Absolument, oui, je parle beaucoup d'histoire parce que j'ai une vision de la littérature qui est très sociocritique, qui est très liée au contexte de création des œuvres. C'est toujours important de voir comment une œuvre n'est pas qu'une œuvre artistique, elle est aussi liée à un contexte économique, politique, social.
PJ : Chez Hachette, tu es l'auteur d'un tout nouveau jeu de cartes, qui est entrain de paraître pour le mois de mai, pour accompagner la collection Mission Plumes en collège. Est-ce que tu peux nous parler de ce projet ?
GP : C'est un jeu de cartes très simple qui contient 100 cartes et qui propose, via ces 100 cartes 10 jeux différents aux élèves. L'idée c'était de créer un produit sans fioritures, le plus simple possible, uniquement des cartes. On est souvent confronté en classe aux problèmes avec le matériel, les pions, les divers éléments qui peuvent se perdre.
Là, on a été vraiment sur le plus simple, le plus basique, 100 cartes. Et avec ces 100 cartes-là, qui ont un recto de texte et un verso avec des illustrations. On est parti sur l'idée qu'avec ces 100 cartes, on pourrait proposer 10 jeux à faire, soit en rituel au début des cours, soit à la fin des cours, ou alors pour des séances vraiment concentrées sur les jeux. On utilise les dessins ou le texte pour proposer des jeux autour du programme de 6e, avec tous les attendus de cycle, des jeux autour du lexique, de la création.
Ces cartes peuvent aussi être utilisées pour d'autres jeux. C'est-à-dire qu'on aimerait bien laisser les enseignants aussi s'emparer des cartes pour inventer leurs propres jeux. On peut imaginer, par exemple, des travaux d'écriture autour des illustrations qui sont très riches. Chaque illustration peut être le point de départ pour des rédactions. Nous, on propose 10 jeux, on en proposera peut-être d'autres sur le site internet. L'idée, c'est vraiment de faire un jeu solide, facile d'accès, pratique, et avec lequel les enfants puissent jouer en autonomie et de manière efficace.
PJ : Pour conclure, Guillaume, je vais te demander quel est ton livre préféré et pour quelle raison tu l'as choisi ?
GP : Alors ça, c'est une question difficile dont la réponse change chaque jour. Mais si je devais dire quel était le livre qui a été le plus marquant pour moi, c'est L'homme qui rit de Victor Hugo.
C'est un livre qui est représentatif de tout ce que j'aime en littérature, c'est-à-dire qu'il est d'une richesse abyssale. On peut le lire 10, 15 fois et toujours y trouver des choses différentes. Mais c'est aussi un livre qui est très clair dans ce qu'il raconte, qui est très touchant, qui parle de violences politiques, d'inégalités, mais aussi d'art, d'espoir. C'est un livre qui est très, très puissant.
Et c'est un livre que j’aime beaucoup parce qu’il est aussi très lié aux œuvres actuelles, à la littérature actuelle. On peut le retrouver cité dans des romans de James Ellroy, mais on peut également le trouver en bande dessinée. Il y a une anecdote que j'aime beaucoup. L'homme qui rit de Victor Hugo a été adapté dans les années 20. C'est Paul Lenny, le nom du réalisateur, et c'est Conrad Veidt qui joue le rôle du Gwynplaine, qui est un personnage mutilé. Et sa photo a tellement marqué les créateurs de Batman qu'ils s'en sont inspirés pour créer le personnage du Joker. Donc finalement, il y a un petit peu de Victor Hugo chez Batman. Je trouve que ça, c'est une belle anecdote qui montre aussi l'aspect tentaculaire que peut avoir la littérature.
PJ : Ça doit plaire aux élèves, ça.
GP : Oui ! Ils aiment bien se dire que le Joker est un petit peu français.
PJ : Quelle est ta citation préférée ? Peux-tu nous dire la raison pour laquelle tu l'as choisie ?
GP : Alors, ce n’est peut-être pas ma citation préférée, mais la plus importante dans mon parcours littéraire, ce serait un vers issu d'Harmonie du soir de Charles Baudelaire qui dit « le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige ».
C'est une métaphore que j'aime beaucoup sur le soleil couchant. Et elle est importante pour moi, cette citation, parce que je pense que c'est la première fois de ma vie, j'étais au collège, où en étudiant ce vers avec mon enseignante, je me suis dit qu'on pouvait dire autrement quelque chose d'aussi simple que « le soleil se couche ».
C'était la première fois où je me suis dit que la poésie avait ce pouvoir-là, de faire que chacun puisse dire le monde à sa manière et qu'il suffit d'avoir les mots et la curiosité pour le faire. Je remercie profondément cette enseignante et je pense que c'est la plus belle chose qu'un enseignant puisse offrir à un élève, lui donner les armes et les yeux pour dire et voir le monde différemment.
PJ : Pour conclure ce podcast, Guillaume, est-ce que tu peux nous dire le message que tu souhaites adresser aux enseignants aujourd'hui ?
GP : Je pense que chaque enseignant doit essayer d'être lui-même dans sa classe et dans son rapport à la matière qu'il enseigne, de trouver sa pédagogie propre. Il faut surtout prendre la liberté d'essayer des choses. Surtout de ne pas chercher à tout prix à répondre à toutes les indications contradictoires qu'on peut recevoir. La littérature et les lettres modernes, c'est une matière très particulière parce que c'est quelque chose de très humain. Donc, il ne faut pas avoir un rapport comptable, vraiment suivre au pied de la lettre les programmes. Il faut parfois s'écarter, prendre des chemins de traverse, essayer de comprendre les élèves, de voir ce qu'ils veulent. Notre rôle, c'est aussi de former des citoyens qui soient libres, éclairés et égaux.
La liberté, c'est leur donner le savoir suffisant pour qu'ils puissent faire des choix raisonnés. Être éclairé, c'est pouvoir comprendre des textes, mais aussi des images, le monde qui les entoure. Et l'égalité, je pense que c'est s'assurer que tous les élèves de France aient accès à la même culture. Dans certains établissements qui ont beaucoup de moyens, qui ont des élèves issus de familles privilégiées, ils auront accès à la culture classique. Ils auront accès à la littérature patrimoniale. Je pense que dans les endroits où les élèves sont moins favorisés, il ne faut surtout pas abandonner la littérature patrimoniale. Il faut continuer à étudier Victor Hugo, il faut continuer à étudier de la musique classique, il faut continuer à étudier Baudelaire. Il ne faut pas lâcher ça parce qu'il faut que ce fond commun soit préservé. Et il ne faut pas creuser l'écart entre les élèves qui auront accès et ceux qui n’auront pas accès.
PJ : Tu parlais aussi d'idée de communauté.
GP : Oui j'ai toujours été très marqué par ça. J'aime beaucoup quand je fais des blagues sur les réseaux sociaux, m'apercevoir qu'il y a des œuvres qui créent des communautés. Par exemple, une blague sur le Horla de Maupassant, à peu près tout le monde la comprend parce qu'à peu près tout le monde a étudié le Horla en 4e. C'est un texte transgénérationnel. C'est une référence commune. Et je pense que ces références communes font aussi la société dans laquelle on vit. Je suis très sensible à ça, au fait qu'on puisse étudier des œuvres partout, que les élèves de n'importe quel coin de France aient accès à La Fontaine, à Victor Hugo, qu'ils apprécient tous ensemble ces œuvres ou alors qu'ils en souffrent, mais tous ensemble.
Je trouve ça aussi très drôle quand je fais des blagues sur les descriptions de Balzac. J'ai toujours des commentaires de beaucoup de lecteurs qui se plaignent de la même chose, mais ils s'en plaignent ensemble. Et ça, c'est beau. Il ne faut pas croire qu'il faut que les élèves n'étudient que des choses qu'ils aiment.
Ça, c'est une autre chose qui, à mon sens, doit être évitée. Si on attend que ce soient les élèves qui lisent ce qu'ils veulent étudier, on ne fait plus de grammaire, on n'étudie plus d'œuvres qui sont dépaysantes. Donc, je pense qu'il ne faut pas avoir peur non plus d'étudier des choses qui peuvent paraître désagréables parce que ce désagréable-là, ils apprendront à le surpasser et au pire, ils pourront en rire tous ensemble plus tard.
PJ : Merci Guillaume. On va conclure sur cette note très positive. Merci pour cette interview enthousiaste et à bientôt !
GP : À bientôt, merci. Au revoir.
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