Vocation : auteur - entretien avec Eric Barbazo
Dans ce troisième épisode du podcast Vocation : auteur, partez à la rencontre d’Éric Barbazo, enseignant de mathématiques et auteur de la collection Barbazo. Il vous raconte son parcours, ce qui l’anime en classe, et ce qu’il a souhaité transmettre dans ses ouvrages.
La vie d’un enseignant n’est pas un long fleuve tranquille : elle est le fruit de multiples expériences qui forgent son enseignement et l’appellent à partager son savoir. Avec le podcast Vocation : auteur, les enseignants ont la parole et vous racontent ces expériences.
Le nom de Barbazo n’est sûrement pas inconnu des enseignants de Lycée. Quel a été le parcours d’Éric Barbazo, enseignant de Mathématiques et directeur de la collection du même nom ? C’est ce que cet entretien, mené par Pascale Joly, va vous faire découvrir.
Le troisième épisode est aussi disponible sur différentes plateformes d’écoute en streaming.
Pascale Joly : Pour commencer, je vous ai demandé de choisir un extrait musical pour introduire ce podcast. Pourquoi avez-vous choisi « Les Feuilles Mortes » de Jacques Prévert (SME) ?
Éric Barbazo : J'ai choisi Jacques Prévert, parce que j'aime beaucoup l'univers de ce poète. C'est un texte qui est magnifique. Et puis j'aime bien la poésie de Prévert, ses côtés un peu subversifs. C’est vraiment un auteur que j’aime beaucoup, pour ses textes qui sont à la fois très poétiques mais aussi très engagés, dans son époque des années 60, 70. Et cette chanson, elle regroupe tout : elle regroupe à la fois le côté magnifique, poétique, avec un peu de nostalgie et un engagement - et puis plein d'amour.
PJ : Parlons un peu de votre métier d'enseignant : c’est le vôtre depuis 29 ans maintenant. Qu'est-ce qui a suscité votre vocation ?
EB : C'est assez classique, mais j'ai eu un prof de mathématiques en 2nde auquel je me suis identifié de par son charisme, sa façon de procéder en classe. Il était à la fois très calme mais aussi sensible, il dégageait quelque chose. Et là je me suis identifié, j’ai trouvé, en plus de mon appétence pour les maths, que la manière dont il les présentait était la bonne.
PJ : Et cela vous a donné envie d’être enseignant ?
EB : Oui, de maths particulièrement.
PJ : Votre parcours est très original et très diversifié. Est-ce que vous pouvez m'en parler ?
EB : Original, je ne sais pas… C'est vrai que quand j'étais au collège, j’étais un bon élève classique, et à l'époque - c'était au milieu des années 80 - il y a eu un essor de l'enseignement technique et beaucoup d'orientations vers les lycées technologiques. Je me suis donc orienté, sans trop savoir ce que je voulais faire à ce moment-là, vers un lycée technologique, plutôt que d'aller dans les séries classiques - C, D etc. J'y ai découvert un autre enseignement qui, je l’avoue, m’a moins plu.
Il y avait heureusement ce fameux bac E : un bac à la fois mathématique – un peu comme le C – et technologique qui oriente vers des études d'ingénieur. J'ai fait ce bac – le côté technique m'a moins plu. Mais par la suite cela m'a servi dans ma façon d’enseigner, parce que j'avais à la fois fait des mathématiques comme en C, mais avec cet apport pratique plus « Manuel de technologie ».
PJ : D'accord, et vous m'avez dit qu’une fois votre bac en poche, assez jeune donc, vous êtes parti au Qatar ?
EB : Ce n’était pas directement après le bac. J’ai fait mes études supérieures, j’ai passé les concours : le CAPES puis l’agrégation. Et juste après avoir obtenu mon diplôme, il a fallu faire le service militaire. J’avais fait une demande de report pour études, et une fois celles-ci terminées il était possible de partir en coopération. Je suis donc effectivement parti en service militaire, en coopération au Qatar pendant 2 ans. J’y ai fait mes armes dans le métier d’enseignant, sans avoir encore fait la formation de stagiaire.
PJ : Et vous avez aimé cette expérience ?
EB : Oui, c’était vraiment une très bonne expérience.
PJ : Qu’est-ce qui vous a plu ?
EB : La découverte de beaucoup d'élèves de pays différents : il y avait à peu près 50% de français qui étaient expatriés là-bas, et puis 50% d’élèves venant d'Égypte, du Liban, de Syrie, du Moyen-Orient globalement. C’était d’une richesse incroyable.
Et puis je ne connaissais pas du tout le pays, ni les problématiques du Moyen-Orient à ce moment-là. J’ai donc découvert ce pays particulier qu’était le Qatar à cette époque, beaucoup plus fermé qu’actuellement, ainsi que le Liban, la Syrie, etc. Sur le plan de l’enseignement, les conditions étaient très bonnes puisque j’avais très peu d’élèves, j’ai donc vraiment pu développer mon métier. D’autant que le niveau était souvent bon.
PJ : Et ensuite, après le Qatar ?
SB : Je suis revenu en France faire mon stage à Toulouse et j’ai commencé ma carrière de professeur de maths classique. J’ai enseigné quelques années, assez rapidement, dans l'académie de Bordeaux. J’y ai eu la chance de retravailler avec mes anciens profs d'université, notamment Pierre Terracher, puisqu’en Maths nous avons les IREM qui permettent aux enseignants du secondaire de travailler avec des enseignants de l'université. J’ai donc intégré l’IREM de Bordeaux où j’y ai retrouvé mes anciens professeurs. Nous avons fait de la formation de professeurs pendant une bonne dizaine d'années.
PJ : Pierre Terracher, qui était donc un grand auteur de mathématiques chez Hachette
EB : Exactement ! Il était également auteur. Ce fut une excellente formation : sur le plan des maths, de l’enseignement, de la recherche – à la fois en maths et en pédagogie… Et il m'a effectivement donné cette envie d'écrire, de l’édition ! J'ai pu observer sa façon de faire, de travailler. Nous allions souvent dans des colloques, et dans le train je le voyais reprendre ses chapitres qui étaient imprimés, faire des annotations… Beaucoup de questions et de réponses.
PJ : Et cela vous a donné envie d’être auteur.
EB : Oui, la richesse de ce travail m’a immédiatement plu.
PJ : En parallèle de cette rencontre, vous avez également dirigé l’Association des Professeurs de Maths, l’APMEP. Pendant combien de temps avez-vous officié ?
EB : Je suis rentré d’abord à l’APMEP de Bordeaux en 2003 : un grand colloque était organisé à Bordeaux et j’ai donc pris la présidence à ce moment-là. Cela m’a permis de rentrer au comité national. Je suis finalement devenu le président de l'APMEP au niveau national en 2009, pour 4 ans. Pendant donc une bonne dizaine d'années, entre 2003 et 2013, j'ai vraiment travaillé au sein de de l'association, à la fois localement et au niveau national. J’y ai fait des rencontres très riches de professeurs de tout niveau d'enseignement – il y a des professeurs de l'école primaire jusqu'à l'université, des professeurs de classe prépa, etc. Ce fut beaucoup de rencontres, de partage, de recherche pédagogique, et de militantisme aussi. Un vrai militantisme pour la défense de l'enseignement mathématique.
PJ : Qu'est-ce que vous en avez retiré, de cette expérience ?
EB : J’en ai retiré plein de choses : une réflexion collégiale sur les programmes, sur les manières d'enseigner, car beaucoup de collègues faisaient de la didactique aussi, ou de l'histoire des sciences. Nous faisions de nombreux colloques, des conférences, des ateliers qui mélangeaient toutes ces disciplines, donc cela donne un vrai recul sur le métier – et pas simplement pour lorsqu’on est dans sa classe, seul avec ses élèves, mais aussi sur les différentes pratiques des autres, les manières d’enrichir ses cours, de simplement avoir des documents, une biographie…
PJ : Toutes ces expériences sont très riches ! Ont-elles fait évoluer vos pratiques de classe ? De quelle manière du coup ?
EB : Oui beaucoup, parce qu’au départ, quand on est jeune professeur, on a plutôt tendance à pratiquer ce qu'on a vécu. Et puis toutes ces rencontres font qu'à un moment donné, on commence à réfléchir sur comment faire travailler les élèves en groupe, à remettre en cause les cours magistraux, notamment avec l’accroissement de l’hétérogénéité. On ne peut plus faire un cours magistral devant des 2nde, ce n’est plus possible – donc le fait de partager avec d'autres collègues aux pratiques très différentes les uns des autres, amène à une vraie réflexion sur sa pratique et sa manière d’enseigner.
PJ : Avez-vous des exemples concrets de pratiques innovantes ?
EB : Oui, d’ailleurs je l’ai retranscrit dans les derniers manuels de Première – j’ai appris, auprès de collègues de Lycée professionnel qui ont souvent des publics davantage en difficulté, l’intérêt de mettre des élèves au travail en groupes de 4 ou 5 par exemple et de leur donner un rôle : un rédacteur, un maître du temps, un chargé de communiquer avec le professeur… Chaque élève du groupe a donc un rôle bien défini et doit s’y tenir. Le professeur passe de groupe en groupe et le travail est commun. J’ai pu constater que cela marchait bien à tous les niveaux : je l’ai vu appliqué sur des élèves en vraie difficulté de tout ordre – scolaire mais aussi comportementale, et je l’ai appliqué moi-même en Terminale (scientifique à l’époque). Il y a une vraie plus-value puisque les élèves sont tenus de remplir leur rôle, ils sont évalués par l’enseignant sur cet aspect. Et dans le groupe, un élève peut ainsi être désigné pour maintenir le calme – parce que bien sûr lorsqu’on fait travailler les élèves en groupe, le bruit est un problème. Le fait de leur donner un rôle les responsabilise bien et ils s’y tiennent.
PJ : Et vous avez senti qu'ils progressaient à la suite de ces ateliers en groupe ?
EB : Les élèves réagissaient différemment selon leur position dans la classe ou selon leur manière de faire. Certains se révélaient vraiment dans le travail de groupe à partir du moment où ils avaient un rôle, quand en classe entière ils ne participaient jamais. D’autres avaient plutôt l’habitude de travailler seul, la contrainte à respecter pouvait les mettre en difficulté. Aucune méthode n’est magique ! Mais certains élèves se révélaient alors qu’en classe entière, ils avaient un comportement complètement différent.
PJ : Faisons à présent le lien justement entre ces pratiques que vous évoquez et les projets dont vous êtes auteur - puisque vous êtes auteur et directeur de la fameuse collection Barbazo de votre nom. Dans quel esprit l'avez-vous conçue et quel sens avez-vous donné à ce projet, compte tenu de toutes ces expériences ?
EB : Quand on m'a proposé de monter une collection, j'avais l’expérience et le modèle de Pierre Terracher. Mais il ne faut pas simplement suivre ses maîtres, il faut essayer de donner quelque chose de soi ! À l’époque où j’ai commencé la collection – en 2013 je crois, il y avait ce que l’on appelait les situations d’introduction des notions avant le cours lui-même. Je trouvais cette situation souvent très stéréotypée, très guidée : les élèves effectuaient des exercices avant de découvrir le cours, et ne comprenaient pas ce qu’ils faisaient. J’ai donc voulu apporter une nouveauté assez radicale : donner une situation aux élèves oui, mais sous forme de problème à résoudre – sans questions les unes à la suite des autres.
Par exemple, je me souviens que la première situation comportait une photo : les illustrations n’étaient pas là juste pour décorer le livre ! Il s’agissait de quelqu’un qui faisait des fouilles archéologiques et qui avait posé une grille sur les pièces se trouvant sur le terrain fouillé. Puis venait la question posée aux élèves : à quoi sert la grille ? Il fallait qu’ils élaborent tout un processus les conduisant à la notion de repérage.
Cela les obligeait à réfléchir, et ils faisaient ensuite le lien avec la définition d'un repère, etc. Nous avons essayé de proposer des situations comme ça, beaucoup moins guidées qui poussaient les élèves à proposer librement quelque chose.
Nous avons mis en place ces situations et cela a plutôt bien fonctionné parce qu'en plus nous les avons diversifiées selon les métiers : une situation en médecine, en archéologie ici par exemple, en physique, en sciences de la vie, tous les domaines.
PJ : Mais oui, on retrouve toute cette transversalité dans vos livres. Et puis cela donne aussi du concret et du sens.
EB : En effet, et cela permet aussi aux élèves de parfois s'identifier. Il s’agit de questions simples aussi : par exemple, dans le cas de la médecine, une courbe d'introduction de médicaments dans le sang permet de voir si le médicament devient dangereux ou non, et le vocabulaire des fonctions se met ainsi en place petit à petit. Cette approche était assez novatrice et a bien fonctionné.
Le deuxième volet était méthodologique : j'avais appelé la rubrique « outils et méthodes » et les retours ont également été assez favorables. On y mettait vraiment en place des exercices, mais avec une méthode bien mise en valeur, bien mise en exergue et qui servait de modèle aux élèves. C'est quelque chose qui a bien pris, qui avait à la fois le côté pratique, outil - donc un logiciel, une calculatrice, etc – et le côté étude méthodologique qui permettait aux élèves de comprendre pourquoi on utilisait telle ou telle méthode dans une situation mathématique.
PJ : C'était bien d'avoir les deux en parallèle. Nous allons conclure ce podcast avec ce que vous avez le plus à cœur de transmettre à vos élèves à travers votre enseignement : quelles sont les valeurs, l'empreinte que vous souhaiteriez leur laisser en quelques mots ?
EB : En quelques mots, c’est difficile ! Moi, ce qui m’importe par rapport à mes élèves, c'est qu'ils arrivent à réussir quelque chose, même si a priori ils pensent qu'ils sont incapables de le faire. Cela arrive souvent avec les élèves bons en mathématiques forcément, parce qu’ils démarrent bien, mais il faut les amener se dépasser. Les élèves en difficulté, qui ont souvent un peu peur des maths, des a priori et un manque de confiance, sont parfois complètement bloqués et n'arrivent pas à dépasser quelque chose. Ce qui me tient à cœur, c'est effectivement de leur montrer qu'à un moment donné, s’ils font un effort – qui n'est pas forcément insurmontable – il vont retrouver du plaisir ou du goût à arriver à répondre à une question, même simple, et à la mettre en place de manière assez précise. Et ça, alors, cela n’arrive pas tout le temps, mais c'est vraiment une victoire qui me tient à cœur.
PJ : Et pour finir, quelle est votre citation préférée et pour quelle raison l'avez-vous choisie ?
EB : Je vous ai parlé de Prévert mais il y a aussi Raymond Queneau que j'aime beaucoup, et qui a écrit Zazie dans le métro. Et il y pose la question « mais pourquoi toi tu veux l'être, institutrice ? » Et elle lui dit : « c'est pour emm***** les élèves ! » Cette phrase m’a vraiment plu, et bien sûr il faut y voir le contraire ! Car Queneau c’est un peu comme Prévert, il y a cet aspect un peu un piquant et un peu provocateur. De plus, c'était dans les années 60 ou l'enseignement était extrêmement étriqué et pas donné à tout le monde : il y avait cette idée qu’il fallait quand même revoir ces méthodes-là, un côté humaniste chez Queneau qui est très approfondi et qu’on constate après dans le livre. Ce côté un peu provocateur me plaisait beaucoup.
PJ : Merci beaucoup Éric de m'avoir consacré ce temps et à très bientôt !
Ce podcast est disponible sur Anchor. Retrouvez tous les épisodes dans notre article dédié au podcast.