Vocation : auteur – Génération Z : adapter son enseignement – Episode 7
Dans ce septième épisode du podcast Vocation : auteur, Youssef Makhtour et Soumia Masrour, professeurs d’économie-gestion, nous parlent des pédagogies innovantes qu’ils ont adoptées dans leurs classes, auprès d’élèves dont les attentes ont changé.
Youssef Makhtour et Soumia Masrour, sont tous deux professeurs d'économie-gestion en BTS, l'un à Paris au lycée Jules Siegfried et l'autre à Bondy au lycée Jean Renoir. Ils sont aussi co-auteurs d'un manuel innovant, « Mon BTS en action ». Dans ce septième épisode du podcast Vocation : Auteur, ils nous parlent de persévérance face à un monde dans lequel il faut se donner les moyens et de l’importance de l’innovation constante des méthodes pédagogiques d’un enseignant.
Avec passion et dévouement, Youssef et Soumia partagent leur expertise et leur expérience pour aider les étudiants à réussir. En adoptant des approches pédagogiques innovantes, ils s'efforcent d'engager leurs élèves de manière plus efficace, de favoriser leur créativité et de les préparer aux défis du monde professionnel.
Le sixième épisode est aussi disponible sur différentes plateformes d’écoute en streaming.
Pascale Joly : Bonjour Youssef, Bonjour Soumia ! Pour introduire ce podcast, vous avez choisi la chanson Mademoiselle de Julien Clerc (©2023 Play Two), pourquoi ce choix et que vous évoque cette chanson ?
Soumia Masrour : Nous avons proposé cet extrait musical pour un introduire ce podcast, Mademoiselle de Julien Clerc : c'est tout simplement un hommage au corps enseignant et une façon aussi d'exprimer notre recon-naissance infinie, comme le dit très bien Julien Clerc dans sa chanson, à tous ces enseignants qui nous ont accompagnés durant notre scolarité et qui ont fait ce que nous sommes aujourd’hui.
PJ : Et toi, Youssef, qu'est-ce qu'elle t'évoque cette chanson ?
Youssef Makhtour : C'est surtout, son message par rapport au contexte actuel de crise de vocation dans le monde de l'enseignement et la nécessité de rendre cette idée de noblesse à ce métier.
PJ : Nous allons commencer par toi, Soumia : qu'est-ce qui t'a conduite à cette vocation d'enseignante ? Et pour commencer, quelle élève étais-tu, est-ce que tu peux nous dire un petit peu ?
SM : Je suis née à Bondy. J'ai grandi à Bondy et je suis l'aînée d'une famille de six enfants. Nous sommes cinq filles et un garçon. Déjà toute petite, je jouais à la maîtresse avec mes petites sœurs que je forçais à s'asseoir près de moi. Donc déjà toute petite, j'adorais expliquer, j'adorais me poser, quand j'avais fini mes devoirs, pour expliquer certains devoirs à mes sœurs. A l'école, j'étais une excellente élève ; au lycée, j'aimais beaucoup aussi l'économie. Et un peu plus tard, lorsque j'ai eu mon bac ES, j'ai commencé à travailler, mais j'étais surveillante d'externat, ensuite professeure contractuelle. Et j'ai travaillé aussi dans le privé pour financer mes études. J'ai été donc professeure vacataire puis contractuelle. J'ai passé le concours et puis dernièrement, j'ai passé aussi l'agrégation en sciences de gestion.
PJ : Dans quel cadre as-tu rencontré Youssef ?
SM : Avec Youssef, on s'est rencontrés il y a plus de 10 ans. On travaillait en binôme sur une formation pour adultes. On a tout de suite accroché car on partageait les mêmes valeurs : on avait cette même vocation, ce métier d'enseignant. On était vraiment sur la même longueur d'onde. Plus les années passaient et plus on a partagé des projets en commun et ça s'est fait tout naturellement.
PJ : Et toi Youssef, qu'est-ce qui t'a conduit à cette vocation d'enseignant ? Est-ce que tu peux nous en dire plus ? Et quel élève étais-tu ?
YM : Moi, je suis originaire d'Alsace, je suis né là-bas. On est sept enfants, donc ma scolarité était quand même très difficile à l'école primaire. Au collège, j'étais plutôt sportif. J’ai passé beaucoup plus de temps en sport qu’à réviser mes leçons. C’est ce qui m'a amené, après le collège, à rejoindre la voie professionnelle. C'est là où j'ai eu ma première expérience professionnelle en tant qu’employé de libre-service dans la grande distribution. Ce fut une expérience très enrichissante, j'avais vraiment l'impression de servir à quelque chose puisque je servais les clients. Je devais conseiller, accompagner. Je trouvais ça très intéressant.
PJ : C’était très concret.
YM : C'était concret, effectivement, donc ça me plaisait bien. Ensuite, j'ai voulu arrêter mes études, mais mon père ne souhaitait pas que j'arrête. Il voulait que je poursuive, donc j'ai rejoint la voie technologique pour une première et terminale « STT », en option mercatique. Je me suis pris au jeu, j'ai réussi mon bac et ensuite la fac.
PJ : Quelle fac tu as fait ?
YM : J'ai fait une fac en double cursus, en administration économique et sociale et ensuite une fac de droit privé, ce qui m'a amené à avoir une maîtrise en droit privé, une maîtrise en économie.
PJ : Tu me disais que tu aimais particulièrement toutes les expressions latines et les mots anciens. Alors, pourquoi le droit ?
YM : Pourquoi le droit ? Parce que j'avais une appétence pour le vocabulaire juridique, qui est très riche. En droit, on utilise beaucoup de latin. Ceteris paribus, sine die, etc. Donc, ça me plaisait vraiment. Et en parallèle de mes études à la fac j'étais maître d'internat, donc une année d’expérience où j'accompagnais les jeunes le soir pour les devoirs, etc. Il y avait eu, à la fac, une petite annonce pour une recherche de professeurs vacataires pour des interventions ponctuelles pour des lycéens en voie professionnelle. C'est comme ça que j'ai démarré ma première expérience en tant que professeur vacataire dans un lycée professionnel.
PJ : Et pour toi, est-ce que c'était une vocation, l'enseignement ?
YM : Pas du tout.
PJ : Pas du tout ?
YM : Non pas du tout, parce que j'ai passé ma maîtrise en droit privé et que je me destinais plutôt au concours de commissaire de police, ou à la magistrature. Alors, c’est complètement différent. Donc pas du tout, non.
PJ : Tu ne le regrettes pas aujourd’hui ?
YM : Non.
PJ : Vous avez tous les deux des pratiques pédagogiques innovantes dans vos classes. Est-ce que vous pouvez nous expliquer comment vous faites pour accrocher ce public qui est quand même un public difficile ?
SM : Les élèves en général ont évolué : ils veulent du sens. Ils aiment travailler par projet, en mode start-up. En effet, de notre côté, on s'est rendu très vite compte qu'il fallait faire évoluer nos pratiques pédagogiques. Moi, personnellement, j'avais des élèves un peu turbulents, beaucoup de discipline à effectuer et je me suis rendue compte très vite qu'il fallait que j'enseigne autrement. Enseigner autrement, c'est clairement changer, revoir, innover dans ses pratiques pédagogiques, que ce soit en demi-groupe ou en classe entière, parce qu'on est face à des élèves, des étudiants surtout, qui évoluent, qui demandent du sens, qui demandent à être des « makers ». Et nous finalement, en tant que prof, on se transforme aussi. On devient davantage des coachs, on équilibre un petit peu. On utilise aussi des outils différents. On travaille en mode start-up, on utilise les méthodes qu’on retrouve en entreprise. L'objectif, c'est d'être en phase avec les pratiques en entreprise. Pourquoi ? Pour que nos élèves, nos étudiants, soient opérationnels lorsqu'ils souhaitent entrer sur ce marché du travail.
PJ : Tout à fait. Et donc, tu mets en place ce que l'on appelle la pédagogie de projet. Alors, qu'est-ce que c'est ?
SM : La pédagogie de projet, c'est travailler en mode projet, travailler en mode start-up. Un exemple ? Dernièrement, on avait organisé – avec Youssef d’ailleurs, il y a plusieurs années, un atelier de design thinking, un hackathon pour inventer les magasins du futur. Pour inventer aussi le management du futur. Et ce qu'on aimerait faire prochainement, c'est dans les cartons. Mais vous, vous le saurez en avant-première ici. On aimerait bien travailler avec des entreprises pour inventer les magasins du futur, pour inventer le management du futur, les pratiques RH du futur. Et qui de mieux que nos élèves, nos étudiants ?
PJ : Tout à fait.
SM : Pour proposer et pour être force de proposition. Nos élèves n'attendent que ça : qu'on leur donne la parole. Ils sont très créatifs et quand on leur donne cette possibilité-là, ils peuvent nous étonner. Ils montent en compétence. Les résultats sont meilleurs et on détecte certains talents. Vraiment ! Ça fait 20 ans bientôt que je suis enseignante et je me rends compte qu’on ne peut plus passer entre les mailles du filet et mettre en place des pratiques normales. Il faut absolument se remettre en question, innover dans nos pratiques, être à l'écoute de nos élèves, nos étudiants. Et honnêtement, qu'est-ce qui nous le rendent bien !
PJ : C'est sûr. Et toi Youssef, comment tu fais dans ta classe, comment tu pratiques ?
YM : J'ai démarré cette pratique pédagogique un peu distributive, innovante, lorsque j'étais contractuel. Par exemple, j'avais un travail à faire sur l'emballage de conditionnement et j'avais demandé à mes élèves de BEP vente-action marchande d'apporter chacun un emballage de la maison. À partir de cet emballage, on a analysé les caractéristiques techniques, commerciales, les ingrédients, etc. Ils se sont pris au jeu, ils ont adoré l'activité puisqu'ils ont compris concrètement les notions à aborder à travers un emballage – plutôt que de le faire à partir d’un manuel où là, ils auraient eu du mal à comprendre. L'idée, c'est : on a le référentiel, c'est très bien, mais le référentiel n'est pas le programme et il faut accepter parfois de faire des détours.
PJ : Tout à fait, oui.
YM : C’est pour mieux faire passer les notions, les compétences. Un exemple récent : il y a actuellement une exposition à la Fondation EDF qui s'intitule « Faut-il voyager pour être heureux ? ». Cette exposition est en lien et fait écho au thème en culture générale, à l’expression qui s'intitule « Invitation au voyage ». Mais nous avons analysé cette exposition sous le prisme du marketing expérientiel puisque lorsque vous voyagez, vous vivez des expériences, on consomme le voyage. Ici, l'idée était de montrer qu'à travers une exposition à la fondation, on pouvait aussi convoquer des notions dans nos disciplines. On insiste vraiment sur la notion d'éduquer nos élèves et étudiants à la culture, puisque la culture est un facteur d'émancipation et d'éveil des consciences.
PJ : Tu dis également que tu croises les disciplines, la culture mais aussi les langues et l'histoire-géo. Comment ça se passe ?
YM : L’idée c'est que l’on n'est pas seul. On est une équipe pédagogique. C'est souvent dans les matières dites générales, ils prennent ça, ils se disent que c'est une option. Non. L'idée est vraiment de travailler, de décloisonner, de désiloter, de travailler ensemble avec le professeur d'enseignement général, sur des jeux, ou des langues. Par exemple, en mettant en place des prospectus ou des imprimés sans adresse en langue étrangère. Donc, l'idée est de décloisonner et de faire travailler toutes les disciplines ensemble et montrer, que la compréhension de l'enseignement général est importante pour bien comprendre et appliquer l'enseignement professionnel.
PJ : Oui, bien sûr. Vous avez publié conjointement, le manuel « Mon BTS MCO en action », qui comme l'indique d'ailleurs le titre, reprend la pédagogie de projet. Dans quel esprit vous avez conçu cet ouvrage, Youssef ?
YM : Pour cette idée qui nous germait depuis des années, nous avons voulu partager nos pratiques pédagogiques avec le monde de l'enseignement, les collègues. On s'est dit que, effectivement, nos étudiants ont changé. Ils veulent être acteurs de leur formation. Nous avons vu, en parallèle qu’il y avait beaucoup d'enseignants, de collègues, qui continuaient à avoir des pratiques que l’on ne trouvait pas du tout adaptés à notre public, la génération Z, ou qui avaient besoin d'outils, de méthodes parce que faire changer les lignes, c'est compliqué. On a nos pratiques habituelles et quand on demande de changer, ce n'est pas facile ! Ce sont les résistances au changement. Et donc l'idée, c'était « pourquoi ne pas partager nos pratiques dans un manuel pour que ça puisse profiter à nos collègues et à tous les étudiants et que ça puisse servir ? »
PJ : De quelle manière, ça se met en œuvre dans le manuel, ce changement de pratique ?
YM : Avec ce changement de pratique, ce qui est complètement disruptif, c'est que généralement, pour le BTS MCO, il y a plusieurs blocs professionnels, alors chez l'ensemble des éditeurs, cela se traduit par un manuel par bloc. Et nous, le signal que nous avons voulu envoyer, c'est le décloisonnement ! Tous les blocs professionnels sont dans le même manuel, donc ça, c'est un signal fort. Montrer que tous les blocs professionnels sont interdépendants. Donc, c'est pour ça qu'on avait voulu proposer les quatre blocs professionnels dans un seul manuel.
PJ : Dans un seul support. Et, il y avait un deuxième critère qui était l'environnement géographique du jeune. Est-ce que tu peux nous expliquer ?
YM : Le BTS MCO, c'est un des BTS où il y a le plus d'étudiants en France. L'idée, c'est que les applications qu'on leur propose s'appuient sur leur environnement local. Que vous habitiez à Bordeaux, à Strasbourg, à Lille, vous n'avez pas le même urbanisme commercial. Donc si vous proposez des applications où tous les concept stores et les points de vente sont sur les Champs Elysées, ça ne va pas parler à un étudiant qui est au fin fond de la Creuse. Donc l'idée c'est vraiment que l'étudiant s'appuie sur son environnement local pour construire des compétences, et ça les oblige à être curieux. Curiosité qui fait souvent défaut chez les étudiants. Ils peuvent passer tous les jours devant le même concept store sans s'en rendre compte. Donc c'est vraiment l'idée de construire à partir de leur environnement, de leur ville, etc.
PJ : Et toi, Soumia, comment as-tu mis en pratique ta pédagogie dans le manuel ?
SM : Moi, je rejoins Youssef. L'objectif, c'est de décloisonner pour créer de la valeur. De la valeur pour nos étudiants. Dans cet ouvrage, ce qu'on a souhaité mettre en place, c'était la validation des compétences de notre référentiel, mais autrement. Avec des activités ludiques et pédagogiques et en proposant aussi des activités utilisées en entreprise. Comme l'atelier de design thinking des learning expedition, par exemple. Pour la petite histoire, j'ai une classe de BTS MCO, l'année dernière, qui n’avait pas le livre. Cette année, ils l'utilisent. Eh bien, dans la validation des compétences dans le cadre de l'épreuve d'examen et donc des dossiers d'examen, ils me disent, et c'est vraiment unanime, que c'est beaucoup plus facile pour eux de comprendre les attendus de l'épreuve et de valider les compétences. Je m'en rends compte lorsqu'ils passent à l'oral. Donc je me dis, vraiment, c’est une victoire !
PJ : C'est ça... : votre victoire ! Alors, qu’est-ce que vous auriez tous deux à transmettre à ces jeunes pour leur vie ? Est-ce que vous auriez 2-3 mots clés ? On va commencer par Youssef.
YM : La persévérance, puisque l’on est dans un monde d'incertitude, le monde est compliqué. On est conscient que la crise sanitaire fait des dégâts et qu’aujourd’hui le monde, ce n’est pas le monde des bisounours, donc il faut se donner les moyens. C'est important, il faut croire en ses rêves, il faut oser. Quand on a un objectif, il faut se donner les moyens d'y arriver.
PJ : Et toi, Soumia ?
SM : Moi, je leur dirais que peu importe qui vous êtes, d'où vous venez, votre histoire, il faut faire preuve de rigueur, de travail. Oser et rêver. Tout est possible. Et d'ailleurs, à chaque fois, je leur dis : ne vous dites pas que c'est impossible !
PJ : Il y a une citation, justement que tu avais choisie qui va dans ce sens-là. Une citation de Nelson Mandela : « J'ai appris que le courage n'est pas l'absence de peur, mais la capacité de la vaincre. » Pourquoi as-tu choisi cette citation ?
SM : Dans l'ouvrage, on propose à chaque fois des citations. C'était vraiment un parti pris et on avait insisté sur ce point parce que pour nous, c’étaient quelques mots d'ordre, quelques citations. Et sur cette citation de Nelson Mandela, je rejoins complètement Youssef, pour la persévérance, le courage. Se permettre de rêver, d'oser et ne jamais abandonner. Vraiment, ça paye.
PJ : Youssef, toi, tu as choisi une citation d'Oscar Wilde : « Il faut toujours viser la lune car même en cas d'échec, on atterrit dans les étoiles. » Très belle citation. Pourquoi l’as-tu choisi ?
YM : C'est ce qu'on vient de dire, c'est s'autoriser à rêver, se donner les moyens, être résilient. Faire preuve d'agilité intellectuelle, puisque le monde, c'est un monde qui est turbulent, qui bouge tout le temps. Il faut savoir pouvoir s'adapter et se donner les moyens de ce qu'on veut faire. Et même si on ne réussit pas, si je peux donner une autre citation, c'est de Ford : « Échouer, c'est avoir l'opportunité de recommencer de manière plus intelligente. » Quand bien même on peut échouer, il faut être résilient, savoir rebondir et repartir de l'avant.
PJ : Oui, ne pas se laisser abattre et garder la confiance. Je vous remercie vraiment tous les deux pour ce magnifique entretien, pour votre enthousiasme communicatif. Nous espérons que cela fera ouvrir de nouvelles portes à vos collègues et au monde enseignant en général.
SM : Merci Pascale. Merci pour cette invitation.
YM : Merci Pascale.
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