L'éducation au développement durable est plus que jamais essentielle pour former des citoyens informés, critiques et engagés, aptes à faire les bons choix dans un monde devenu complexe et incertain. C'est l'objet de ce quatorzième épisode du podcast Vocation Auteur, le podcast qui donne la parole à des enseignants auteurs qui ont choisi de transmettre leur pédagogie à travers nos manuels. Retrouvez chaque mois l'interview d'un auteur qui vous donnera peut-être l'envie d'en être un !
Matthieu Remblière est professeur d'histoire-géographie au Collège Anne Frank d'Antony dans l'Académie de Versailles. Chargé de mission EDD depuis 2016, il participe à la formation des référents EDD et accompagne les établissements labellisés E3D.
Il crée et suit de nombreux projets à l'échelle de son établissement, mais aussi à l'échelle académique. Il est l'auteur, chez Hachette Éducation, du Pass’EDD Collège, un outil clé en main qui permet la réalisation d'ateliers et de projets en faveur du développement durable.
Ce douzième épisode est aussi disponible sur différentes plateformes d’écoute en streaming.
Pascale Joly : Bonjour, Matthieu.
Matthieu Remblière : Bonjour Pascale.
PJ : Tu as choisi d'introduire ce podcast par la très belle chanson The Sound of Silence de Simon & Garfunkel, pourquoi ce choix ?
MR : Au-delà du son doux et mélodieux qu'on entend, c'est l'état d'esprit de l'époque des années 60 qui transparaît à travers les paroles où les auteurs, les chanteurs critiquent la société de consommation qui rend superficielle les rapports humains. Mais c'est aussi, à travers ces paroles, une jeunesse qui est porteuse d'espoir. C'est aussi l'époque de la guerre du Vietnam, donc on est dans un esprit très contestataire.
Et puis ce sont enfin les débuts de l'écologie comme mouvement militant. C'était il y a 60 ans et pourtant tout reste encore très d'actualité.
PJ : Est-ce que tu peux nous dire qui tu es, Matthieu ? quel enfant étais-tu ? Est-ce que tu peux nous décrire un peu ton parcours et finalement ce qui a suscité ta vocation d'enseignant ?
MR : Pour commencer par l'enfance, j'ai eu la chance – et je me rends compte davantage aujourd'hui – d'être de façon précoce en contact avec la nature. J'avais des parents qui m'emmenaient notamment chez mes grands-parents, à peu près tous les week-ends dans le sud de la Vienne ; ce qu'on appellerait aujourd'hui la diagonale du vide mais qui est un territoire aussi magnifique et sur lequel je parcourais avec les cousins la nature, les rivières, la chasse aux champignons. Ce sont vraiment des beaux souvenirs et je pense qu'ils m'ont marqué pour la suite de mes études et puis de ma carrière.
PJ : En quoi ça t'a marqué ?
MR : Mettre les mains dans la terre, être dehors, passer son dimanche vraiment à faire des jeux en contact avec la nature, à aller en quête de ruisseaux, à essayer de pêcher des têtards dans les mares ou ce genre de choses. En fait je pense aujourd'hui que ça a été une chance et ce serait formidable que tous les enfants puissent bénéficier d'une telle éducation finalement, en tout cas une sensibilisation à la nature dès le plus jeune âge.
PJ : Est-ce que c'est ce qui a suscité un petit peu ta vocation d'enseignant, de professeur d'histoire géo ?
MR : Pour l'enseignement c'est différent : c'est vraiment, comme souvent d'ailleurs, la rencontre de professeurs qui m'ont marqué chacune et chacun à leur façon – avec le souvenir aussi que j'ai de ces enseignements où j'ai été transporté par leurs cours, leurs anecdotes qui me faisaient voyager dans le temps, par l'histoire, dans l'espace, par la géographie. Et puis déjà j'avais cette curiosité de l'ailleurs, la découverte. J'avais aussi en parallèle une passion des cartes et des images satellites – chose à mon avis peu banale, ma chambre d'ado était tapissée de cartes et d'images satellites.
Je n'avais pas les footballeurs mais j'avais cette envie vraiment d'être connecté à l'ailleurs.
PJ : L'envie du voyage.
MR : L'envie du voyage sans trop voyager, mes parents n'étaient pas de grands voyageurs. Mais j'avais envie d'explorer le monde qui m'entourait.
PJ : D'accord, et alors du coup pourquoi est-ce que tu t'es lancé dans des études d'histoire-géographie ?
MR : Comme je le disais, ce fut la rencontre de professeurs – des professeurs d'histoire-géographie en particulier. C'était un goût pour la matière, pas encore le goût d'enseigner ou de transmettre. Ça je l'ai découvert par la suite.
J'étais un élève plutôt discret. Je buvais les paroles des professeurs mais ils ne s'en rendaient pas forcément compte. J'étais vraiment intéressé.
Je n'étais pas un élève excellent non plus mais ça m'intéressait. Et puis, je trouvais que c'était une matière qui transmettait des valeurs aussi. Il y avait beaucoup de points communs chez ces professeurs, beaucoup de bienveillance aussi et une envie de transmettre la compréhension de l'histoire et de la géographie du monde d'aujourd'hui.
Ça me plaisait beaucoup et je ne me posais pas beaucoup de questions sur mon orientation. Je me suis dit : cette matière me plaît, donc on va continuer là-dedans après le lycée. Logiquement je suis allé à l'université de Poitiers en géographie en faisant aussi des cours d'histoire.
Et là je fais une découverte : un type de géographie me plaît en particulier, la géographie urbaine, l'urbanisme aussi, l'art de faire la ville.
PJ : Qu'est-ce qu'il t'a plu dans l'urbanisme ?
MR : L'art de concevoir la ville dans tous ses états. La complexité sociale, économique, les formes urbaines, l'architecture, ce sont des choses qui m'ont beaucoup plu. Je venais plutôt de la campagne, en tout cas du périurbain, la région de Poitiers.
Et puis les villes finalement, c'est un objet qui me fascinait vraiment et j'ai voulu prolonger les études là-dedans. Je me suis embarqué dans une maîtrise à l'époque en géographie urbaine à l'université du Québec à Montréal. L'objectif c'était vraiment de me rendre à la métropole nord-américaine et de la comprendre.
PJ : Tu es chargé de mission EDD depuis 2016. Est-ce que tu peux nous parler un petit peu de cette mission ?
MR : C'est venu de mes premières années d'enseignement en vérité. Au départ, j'hésitais entre être urbaniste et professeur d'histoire géographie. J'ai eu un master d'urbanisme et, très vite, j’ai exercé quelques mois dans une agence d'urbanisme. On était sur les transports écologiques à Montréal en particulier et ça m'avait beaucoup plu. Mais pour toutes sortes de raisons, je suis revenu à ma première vocation on va dire. Quand j'ai commencé à enseigner j'ai voulu aussi y lier ma passion pour l'urbanisme et l'intérêt pour la ville. J'avais développé des projets pédagogiques avec les élèves pour faire en sorte de les mettre en action. J'avais imaginé une classe « ville durable » où les élèves étaient par petits groupes. Chaque petit groupe ou chaque équipe était une agence d'urbanisme et devait concevoir un quartier, en particulier un écoquartier. Et là, on a été en contact avec des professionnels, des urbanistes, des architectes aussi qui nous ont accompagnés dans ce projet jusqu'à la création de maquettes avec une présentation au public. C'était vraiment sur une parcelle de la ville, devant les élus, devant le maire, etc.
PJ : C’était des classes de collège ?
MR : On était en classe de cinquième. Et en cinquième on peut aller très loin avec les élèves : dans l'analyse du territoire, dans la créativité aussi. Cela avait été une année absolument passionnante et très riche. Je rencontre encore certains de ces élèves : pour certains cette année avait été décisive. Certains sont devenus géomètres, d'autres ont été dans la planification urbaine. C'est quelque chose qui les a marqués et moi aussi. Donc je l’ai refait l'année d'après et puis cette année encore.
Ainsi, on refait à nouveau ce projet dans un autre collège et dans un autre contexte. Lier évidemment cette passion pour la géographie appliquée, l'urbanisme avec l'enseignement a très bien fonctionné. Et pour en revenir à ma mission actuelle, en vérité c'est ce projet qui m'a permis d'être « détecté » par l'Académie pour être chargé de mission. Elle consiste effectivement, comme tu as pu le dire en introduction, à accompagner des établissements qui s'engagent dans des démarches de développement durable, qu'on appelle des démarches 3D. Cela peut concerner tout type d'établissement, de la maternelle au lycée, l'objectif étant que l'établissement s'engage dans une démarche qui puisse lui permettre de réduire son impact sur l'environnement en termes de mobilité, d'économie d'énergie, de sensibilisation, etc.
Les élèves jouent évidemment un rôle très important. On parle beaucoup du groupe des éco-délégués mais en vérité ce sont tous les élèves de l'établissement qui vont être impliqués dans cette démarche, qui vont apprendre aussi, qui vont comprendre et qui vont agir à travers des actions.
PJ : Quelles actions par exemple ?
MR : Elles sont multiformes comme peut l'être le développement durable : ça peut être des actions sur l'égalité filles-garçons, sur évidemment les économies d'énergie, la lutte contre le réchauffement climatique... On est dans le cadre de l'ONU, des 17 objectifs de développement durable, et les élèves réfléchissent à des actions, à comment les mettre en œuvre. Donc ça peut être par exemple lutter contre le gâchis alimentaire, ça peut être mettre en place un plan de mobilité durable pour venir au collège en utilisant le moins possible les véhicules thermiques, ça peut être la création de jardins potagers, jardins pédagogiques aussi, ça peut être végétaliser la cour, bref une multitude d'actions mais tout ça dans un cadre cohérent qu'on appelle une démarche E3D. Il y a un comité de pilotage et les élèves sont acteurs à toutes les étapes, le diagnostic, l'action jusqu'à l'évaluation même des actions.
PJ : Ça leur plaît aux élèves ?
MR : Dans tous les établissements, on a des élèves qui vont être engagés dans ce type d'action. Ce groupe là est un groupe moteur. Le défi va être d'engager les autres élèves, de les sensibiliser et puis de retrouver cela dans les enseignements
C'est cette deuxième étape qui peut être la plus compliquée.
PJ : Alors comment tu t'y prends et qu'est-ce que tu conseilles aux enseignants ?
MR : C'est un travail d'équipe : il y a un travail de sensibilisation des adultes aussi, de toute la communauté éducative, qui n'est pas forcément toujours convaincue. On est sur d'autres objectifs aussi, dans l'éducation nationale, qui sont tout aussi importants.
Mais l'objectif, c'est aussi de faire comprendre qu'une démarche de développement durable, ça englobe l'ensemble des politiques d'un établissement, parce que le développement durable, fondamentalement, c'est quoi ? C'est comment bien vivre aujourd'hui et demain en respectant l'environnement. Mais là-dedans, on y met toutes les politiques. C'est comment bien vivre au collège.
Quand on est dans la lutte contre le harcèlement aussi, on participe au “bien vivre”. Quand on met en place toutes sortes de clubs aussi, au collège, c'est “bien vivre”. C'est de faire en sorte qu'on vienne dans l'établissement de façon épanouie.
Et puis, quand on va végétaliser et penser la cour pour faire en sorte de favoriser aussi d'autres usages que ce qu'on peut voir jusqu'à présent, de susciter la discussion et la compréhension peut-être des espèces végétales qu'on va planter, etc., là aussi, ça participe au bien-être des élèves dans l'établissement. Donc il faut penser aussi le développement durable comme une politique globale d'établissement qui permet vraiment d'englober et de faire en sorte que toutes les politiques soient en harmonie, et convaincre de cette façon-là.
Il faut que toute la communauté, les parents d'élèves, les adultes et les professeurs, les élèves, soient convaincus par ce type d'action et participent à leur réalisation.
PJ : Est-ce que tu as justement des exemples de réalisation, d'action ou de pratique montrant comment toi tu fais dans ta classe ?
MR : Cela peut être des projets interdisciplinaires avec plusieurs professeurs par exemple.
PJ : Comme quoi ?
MR : Je peux prendre l'exemple du projet qu'on mène cette année, où il s'agit pour les élèves de réfléchir, afin de comprendre des projets urbains qui ont lieu sur leur territoire. Il y a un projet avec la Bièvre qui coule à Antony, où j’habite. On ne la voit pas, la Bièvre, elle est canalisée. Et il y a un projet de réouverture de celle-ci dans un des parcs publics de la ville. Alors on se met en contact avec les aménageurs, les décideurs. Il y a en particulier une chargée de mission aussi qui vient dans la classe, qui explique le projet. On va sur place et les élèves essayent de comprendre les enjeux.
Il y a un autre projet qui, pour le coup, leur parle : l'avenue Pajot, qui borde le collège, va être totalement refaite. C'est une départementale. Le conseil départemental a associé une de mes classes à ce projet et à sa réflexion : quelle solution trouver pour faire en sorte qu'aujourd'hui, les axes en ville répondent aux mobilités ? L'objectif, c'est vraiment que les élèves soient en contact avec leur espace vécu, puissent comprendre comment leur ville change, mais à leur échelle aussi.
S'ils comprennent ça, s'ils sont en contact avec les acteurs, nous, après, on peut évidemment dérouler le cours. Là, c'est une classe de cinquième : le programme de cinquième en géographie, même en sciences de la vie et de la terre, il traite de ces problématiques-là, l'eau, le réchauffement climatique, etc.
L'objectif du prof, c'est un petit peu de planifier ce projet pédagogique à l'année, de faire en sorte qu'on puisse faire cours en contact avec ce projet et que les élèves puissent faire le lien entre les apports théoriques et ce qu'ils vont découvrir de façon très concrète à travers les projets. Et ça, souvent, c'est gagnant pour les élèves. Ils comprennent beaucoup de choses, donc pas la peine parfois d'aller trop loin pour être dans la découverte.
Souvent, ils vont découvrir beaucoup de choses qui étaient au pied de leur immeuble.
PJ : À travers tout ça, quelles sont les valeurs que toi, Matthieu, tu souhaites transmettre aux élèves ?
MR : D'abord, je veux susciter chez eux la curiosité. Elle a été un moteur pour moi depuis que je suis tout petit. La curiosité amène des grandes réalisations, souvent en tout cas.
Leur donner les clés de compréhension afin qu'ils puissent faire les bons choix par la suite. Ça, je dirais que c'est presque la définition de l'enseignement. Faire les bons choix en citoyen éclairé, pour ce qui concerne l'écologie, mais aussi la réalité sociale.
Souvent c'est lié tout ça. Et l'histoire-géographie, c'est évidemment une des matières qui s'y prête. On a la chance, à travers la géographie, l'éducation morale et civique, l'histoire, de brasser beaucoup de choses, beaucoup de thématiques aussi. C’est quelque chose de très important. Moi, j'enseigne à des enfants qui sont issus pour la plupart de milieux populaires et c'est important que les enseignants leur ouvrent le champ des possibles par les découvertes, les rencontres, les sorties. C'est important qu'on ait ce rôle d'élargir leurs horizons et puis leur donner confiance aussi, leur dire que c'est possible, c'est à votre portée. C'est pour ça que j'essaye d'amener des professionnels dans la classe aussi. Et à chaque fois, je demande à ces professionnels de se présenter, de présenter leur parcours d'études, leurs missions dans le cadre de leur métier. Ça donne quelque chose de très concret.
PJ : C'est plus vivant, c'est concret.
MR : Oui, et puis ça peut éventuellement susciter des vocations. Mais en tout cas, c'est important. Si nous, on ne le fait pas, ça va être peut-être plus compliqué pour eux d'aller à la découverte de ces métiers.
PJ : Tu es l'auteur de Mon Pass’EDD collège qui est paru aux éditions Hachette. Dans quel esprit toi et tes co-auteurs avez conçu ce Pass?
MR : Quand Hachette m'a contacté en me présentant le projet, j'ai tout de suite été séduit. Il s'agissait en vérité de créer un cahier qui puisse accompagner les élèves, mais aussi les enseignants dans l'élaboration de projets d'éducation, développement durable. Et ça résonnait évidemment dans ma propre pratique.
Je savais que cela répondait à un besoin. C'était celui d'accompagner justement les élèves motivés, engagés dans les établissements, pour qu'ils se mettent en action. Il y en a toujours des élèves engagés. Mais ça n'a rien d'évident, en vérité, d'accompagner ces élèves. Les académies proposent de plus en plus de formations pour former en particulier des enseignants, mais ça peut être d'autres personnels de l'établissement qui se sentent investis dans cette cause, on va dire, de l'éducation au développement durable, mais qui ne savent pas forcément sur quels outils ou sur quelle méthodologie s'appuyer pour les mettre en action.
Il manquait sans doute de ressources. Il y avait des ressources ici ou là qu'on pouvait trouver. Mais l'idée de tout rassembler dans un seul cahier avec une démarche cohérente, et ça, ça ne s'était jamais fait, en vérité.
On était sur quelque chose de nouveau. Et ce projet m'a beaucoup plu, tout comme les autres auteurs aussi qui ont participé et qui sont des professeurs experts aussi dans leur pratique de l'éducation, du développement durable, qui sont des formateurs aussi. Et avec l'équipe d'auteurs, nous étions cinq, on a réfléchi à l'architecture d'un cahier qui puisse être d'une prise en main très facile et qui puisse les accompagner à l'année avec différentes parties, on voulait absolument commencer par faire en sorte que l'élève réfléchisse lui-même déjà avant même de commencer à penser à des actions, qu'il puisse réfléchir lui à ses propres valeurs, ses propres angoisses aussi par rapport à l'écologie. On parle beaucoup d'éco-anxiété. C'est une vérité, c'est une réalité, et en particulier chez les jeunes qui se posent beaucoup de questions, qui n'ont pas forcément les clés de compréhension.
Surtout, ce qui les angoisse, c'est qu'ils voient aussi que les adultes n'ont pas forcément la compréhension des enjeux, ni nécessairement les solutions. Alors qu'avant, même ma génération, on pensait qu'on était dans une société - on voyait bien les difficultés, mais on n'avait pas l'impression que le monde était malgré tout en train de s'écrouler. Là, on est sur une génération où quand on regarde le journal, il y a toujours forcément un reportage, une catastrophe, etc. Il y a toujours le lien avec le réchauffement climatique. Et ça, c'est quelque chose qui les angoisse. Donc, on voulait commencer par une première partie qui puisse les faire parler, les faire réfléchir et les faire débattre.
Puis, dans une deuxième partie, les faire aller davantage sur la compréhension de phénomènes complexes. On a divisé en huit thématiques, que ce soient les mobilités, l'égalité filles / garçons, la solidarité, etc. Différents thèmes qui brassent assez large avec des apports de vidéos scientifiques et des exercices ludiques.
On voulait faire en sorte aussi que ce cahier soit quelque part positif : on ne voulait pas plomber l'ambiance. Au contraire, on veut que ces jeunes puissent se mettre en action et puissent avoir confiance dans celles-ci. Mais qu'ils puissent aussi comprendre leur intérêt. Ça, c'était très important aussi qu'il y ait une sorte de cadrage scientifique à travers des exercices assez ludiques et puis quelques vidéos de 2-3 minutes très courtes, mais qui permettent de placer quand même le contexte. Dans une troisième partie, c'est la mise en action.
En somme, c'est une sorte de carnet de bord : une méthodologie de la démarche de projet, le diagnostic, l'action, où ils peuvent écrire les différentes étapes de leur projet. La dernière partie, ce sont simplement des outils de méthode : comment communiquer sur son projet, comment mener un diagnostic, etc. Donc, ça rassure les élèves, mais ça rassure aussi les enseignants qui vont prendre en charge ces groupes. Et quelque part, il n'y a plus qu'à suivre la méthode.
Cela peut être utilisé à la fois pour le groupe des éco-délégués, qui, normalement, est un groupe qui vit dans chacun des collèges et des lycées. Mais ça peut être un outil qui peut être utilisé dans un projet de classe à l'année.
PJ : Tout à fait. Tu as choisi une citation pour finir ce podcast. Quelle citation est-ce ?
MR : Toujours dans le thème de l'invitation au voyage : moi, je trouve que l'éducation au développement durable, c'est aussi une invitation au voyage. Et l’un des auteurs emblématiques, pionnier de l'écriture du voyage, c'est Robert Louis Stevenson, qui avait écrit notamment Voyage avec un âne dans les Cévennes, en plus de L'île au Trésor.
Dans son ouvrage, il disait que « l'air du dehors guérit. »
C'est une citation que j'ai toujours eue en tête. C'est une vraie invitation à aller voir ailleurs, s'ouvrir à d'autres horizons, se libérer d'un horizon qui peut parfois être trop resserré. Donc, pour une jeunesse qui, aujourd'hui, est très liée aux écrans, très enfermée, peut-être aussi, et qui ne va pas suffisamment dehors.
On assiste à des syndromes d'enfermement ou en tout cas, à une déconnexion de la réalité. On parle d'une jeunesse hors sol et pourtant, le dehors, une balade – pas la peine d'aller très loin – peut complètement changer l'état d'esprit. Quand j'emmène une classe en forêt, c'est comme si on les amenait à l'autre bout de la terre. C'est une vraie découverte et on voit même dans leur visage une vraie excitation parce qu'il y a quand même - je pense que c'est en nous, quelque part - ce lien avec la nature qui se reconnecte. Et je pense que l'éducation au développement durable doit commencer par là, dès le départ, par une connexion à la nature.
Aujourd'hui, on a des chercheurs qui travaillent justement là-dessus et qui le disent, que cette déconnexion à la nature est en train de faire des ravages.
PJ : Ton conseil, ce serait quoi finalement ?
MR : Le conseil, c'est que l'air du dehors guérit ! Emmenez vos élèves, emmenez vos enfants, dès le plus jeune âge, allez dehors.
A partir de là, débute la compréhension de la nature et la volonté, par la suite, de vouloir la protéger, d'agir et de vouloir comprendre aussi tous ces phénomènes complexes qui nous tombent dessus et dont nous sommes responsables. Encore faut-il comprendre, c'est quoi notre responsabilité pour mieux agir dessus ? L'éducation au développement durable, c'est une éducation qui est linéaire. C'est pour ça qu'il n'y a pas de matière d'Education au développement durable. Ça ne peut pas être une matière en vérité. C'est partagé par toutes les disciplines.
PJ : C'est transversal.
MR : C'est transversal et il faut commencer dès la maternelle. On a vraiment des enseignants qui sont très motivés par cela. On a le mouvement aussi – plus qu'un mouvement – de la classe dehors.
PJ : On a publié des livres sur le sujet.
MR : Oui, tout à fait. On voit qu'il y a beaucoup d'enseignants qui prennent en charge la classe dehors, qui enseignent dehors, qui ont compris qu'effectivement, il se passe beaucoup de choses dehors, quel que soit le temps. On peut emmener les élèves et puis tout peut être support à la compréhension, les mathématiques, la littérature, etc.
En ce moment, dans mon collège, nous sommes en train de mettre en place une aire éducative. C'est un petit espace protégé en dehors du collège. Un espace qui est géré par les élèves comme un parc naturel. On est avec des élèves qui ne sont pas ou très peu en contact avec cette nature. Pourtant, au pied de leur immeuble, il y avait une petite réserve naturelle qu'ils ne connaissaient pas, il y avait un espace. Depuis deux ans, on a ouvert pour ces élèves les portes d'un monde qu'ils ne connaissaient pas. Il y a notamment un observatoire pour observer les oiseaux. Pourtant, on est au cœur de la ville. On a une réserve ornithologique qui est très peu connue parce qu'elle est fermée par une palissade. Et pourtant, il y avait un accès un peu secret à un observatoire, sur pilotis. Quand on emmène les élèves là-bas, c'est absolument magique. Ils prennent les jumelles, ils voient des espèces visibles seulement dans l’observatoire. Ils découvrent un monde totalement fascinant et c'est la réalité.
Là, on sait qu'on suscite quelque chose, qu’on sème une graine, en quelque sorte. On peut penser que ce goût de la nature est peut-être le déclencheur d'autre chose. Ça peut être une vocation par la suite ou ça peut être tout simplement dans son comportement au quotidien, de faire attention à la nature.
PJ : Merci, Mathieu, vraiment pour ton enthousiasme et puis pour tous tes conseils précieux.
MR : Merci à toi et à très bientôt.
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